Affronter les problèmes de notre temps

Dans le cadre de la publication de notre rapport annuel 2018, nous avons demandé à Ismail Serageldin et ISC Patron, de partager ses réflexions sur la science au 21ème siècle.

Affronter les problèmes de notre temps

Lorsque CP Snow a écrit sur « les deux cultures » il y a plus d'un demi-siècle, il a déploré un certain degré d'ignorance, voire une inimitié croissante entre la culture de la science et la culture des sciences humaines. L'impasse a survécu, mais a muté.

Le point de vue non scientifique est soutenu par certains qui nient que la science est autre chose qu'un simple discours reflétant les relations de pouvoir de la société, et que ses praticiens, les scientifiques, ne sont rien de plus qu'un autre groupe social en lice pour les ressources et le pouvoir.

D'autres voix, amplifiées par le pouvoir omniprésent du Web et des médias sociaux, promeuvent des croyances égoïstes, des « fausses nouvelles » et des distorsions qui défient les preuves rigoureuses sur la vaccination, les alunissages, le changement climatique, etc. Les deux politiser le débat et rejeter les preuves. Les deux sapent le potentiel de la science à contribuer au bien public.

Pourtant la science is différent.

Nous perdons de vue cette différence à nos risques et périls. En science, il n'y a pas d'autorité individuelle, pas de livre qui règle le bien ou le mal, pas de grands prêtres qui interprètent les textes sacrés : il y a une méthode. Une méthode basée sur la rationalité et l'évidence.

La science encourage l'engagement avec le point de vue à contre-courant et salue le renversement des paradigmes et des conceptions existants comme des percées. Beaucoup d'innovateurs en science sont très jeunes. Marie Curie a 31 ans lorsqu'elle découvre le radium. Einstein avait 26 ans lorsqu'il a publié ses articles révolutionnaires. Watson avait 25 ans lorsqu'il a co-découvert la structure de la double hélice. Tous ont été salués pour leurs découvertes et sont au panthéon des plus grands scientifiques.

Mais aussi puissante que soit la méthode scientifique empirique, elle ne suffit pas à traiter nombre de nos problèmes, qui ne sont pas seulement individuels ou systémiques, mais aussi sociaux et environnementaux, locaux et mondiaux. En plus de la connaissance des sciences naturelles, nous avons besoin des connaissances des sciences sociales et de la sagesse des sciences humaines. Nous devons plus que jamais jeter un pont entre les deux cultures et étendre ensemble ce pont dans la société.

C'est dans ce contexte que l'International Science Council (ISC) a été créé à Paris le 5 juillet 2018. À ce moment-là, l'ISSC (représentant les sciences sociales) et l'ICSU (représentant les sciences naturelles) ont fusionné pour créer le premier parapluie global. organisation qui a réuni les meilleurs praticiens des sciences sociales et naturelles, ainsi que plusieurs organisations savantes qui incluent les sciences humaines. L'ISC est ainsi en passe de devenir la voix mondiale de la science à un moment où le monde en a plus que jamais besoin.

Bon nombre des défis les plus graves auxquels l'humanité est confrontée pour faire face au changement climatique, aux pénuries d'eau, à la pollution massive, à la destruction des écosystèmes, à la perte d'habitats naturels, à la dégradation des sols, à l'extinction d'espèces, à la sécurité alimentaire, à la pauvreté, aux inégalités et bien plus encore, ne se prêtent pas à de simples solutions technologiques. Ils ont besoin d'une implication sociétale, d'une large compréhension du public, d'un engagement politique et d'une coopération internationale. La science a de nombreuses contributions à apporter, mais bon nombre de ces contributions, car elles fournissent de nouvelles solutions et de nouveaux services, soulèvent de profondes questions éthiques, sociales et philosophiques.

Il suffit de regarder les nouvelles techniques d'édition du génome et les abus potentiels sur les humains ; les enjeux de connectivité sociale sur les nouveaux médias et la vie privée ; le déploiement des technologies de l'intelligence artificielle dans la surveillance de masse et leur capacité à éroder les libertés individuelles et potentiellement le sens de l'autonomie humaine ; ou le potentiel négatif alarmant des nouvelles vidéos « Deep Fake ».

Tant de problèmes de notre temps, du genre aux questions médicales, du déploiement de la technologie à l'environnement, de la cohésion sociale à la paix internationale, concentrent l'attention sur les individus et les sociétés humaines autant que sur le monde naturel dans lequel nous vivons. Les êtres humains sont des êtres sociaux, des êtres vivants qui ont des motifs, des intentions, des normes et des valeurs, dont les institutions sociales ont des symboles, des rituels et des cultures de sens. Tout cela est précisément le domaine des sociologues.

Les questions éthiques nécessitent la sagesse des sciences humaines. Pour le bien de l'humanité en ce nouveau siècle, nous devons combler le fossé entre les deux cultures. Nous devons être en mesure d'apporter leurs points de vue différents et complémentaires sur les grands problèmes de notre temps et de nous engager avec la société de manière à renforcer la légitimité socio-politique.

C'est le moment pour l'ISC d'apporter la voix collective de la science, avec sa raison, sa rationalité et sa compréhension pour aider le monde à apprécier l'ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés, ainsi que les solutions que la science peut apporter. Et l'ISC doit bien faire ce travail pour que le monde écoute, et cela peut aider l'humanité à passer de son présent conflictuel à un avenir grand et glorieux. Elle relève ce défi urgent en œuvrant à mobiliser les forces collectives des sciences en déployant leur expertise et leurs conseils pour le bien public mondial et en s'engageant publiquement sur les grands enjeux contemporains qui préoccupent la science et la société.

@I_Serageldin 

Ismail Serageldin est un Patron de l'ISC et le directeur fondateur de la Bibliotheca Alexandrina


Cliquez ici pour télécharger notre rapport annuel 2018.

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