Un avenir pour la recherche transdisciplinaire ?

Nous sommes reconnaissants pour les réponses et commentaires excellents et engageants reçus. Nous souhaitons remercier tous ceux qui ont pris le temps de lire, de partager leurs points de vue et leurs critiques. Ce nouveau texte n'est pas une réponse ; c'est plutôt l'occasion de recadrer certaines de nos réflexions en tenant compte des commentaires reçus, et d'en réarticuler d'autres plus clairement.

Un avenir pour la recherche transdisciplinaire ?

Les réponses reçues confirment notre message initial selon lequel pour que la science puisse contribuer aux questions complexes et souvent controversées de notre monde, notamment celles associées à l'Agenda 2030 des Nations Unies, la recherche transdisciplinaire doit changer radicalement. Il ne s’agit pas ici de minimiser l’importance de la découverte et de la recherche ciblée de mode 1, mais plutôt de souligner la nécessité d’intégrer des cadres de recherche supplémentaires. Le récent rapport, Unleashing Science de l'International Science Council, ISC, (2021) et le rapport ultérieur de la Commission de l'ISC sur la science menée par mission pour le développement durable (ISC, 2023) soulignent tous deux la nécessité d'appliquer des approches transdisciplinaires et la nécessité de les institutions scientifiques à adopter de nouveaux modèles de financement et d’évaluation de la recherche et des chercheurs afin de réduire les obstacles structurels à la transdisciplinarité. 

L’un des objectifs de notre article était de clarifier ce que l’on entend par recherche transdisciplinaire, car il s’agit d’un terme encore souvent confondu avec les formes plus traditionnelles de recherche interdisciplinaire. Ce faisant, il était important de discuter de ce qu’est la science et de ce qu’elle n’est pas. La première partie de notre article traite de ses attributs et des domaines dans lesquels elle peut apporter une contribution unique. Mais comme nous le soulignons dans la deuxième partie, la science a ses limites. Il est important de noter que la science n’évolue pas indépendamment des autres formes de systèmes de connaissances. La science doit interagir avec eux sans se compromettre. La troisième partie de notre article soutient que même si le concept de recherche transdisciplinaire n’est pas nouveau, il existe des problèmes systématiques fondamentaux et des obstacles qui empêchent les chercheurs de le faire. Ils existent dans les structures de financement, dans la configuration des universités, dans les silos disciplinaires, les programmes d'études, etc.  

Soutenir les scientifiques à la recherche de recherches sur la TD 

Les commentaires confirment qu’il existe effectivement de nombreux chercheurs individuels (humanistes, sociaux et naturels) déjà engagés dans des recherches transdisciplinaires, notamment dans les pays du Sud. Nous trouvons cela particulièrement encourageant, même si nous nous demandons pourquoi ? Est-il plus facile ou plus tentant de s’engager dans la transdisciplinarité dans les pays du Sud parce que les barrières institutionnelles sont moins fermes ou pétrifiées que dans les pays du Nord ? ou la simple urgence de certaines de ces questions appelle-t-elle simplement des cadres de recherche nouveaux et innovants ?  

Quoi qu’il en soit, ce que l’on lit dans les commentaires et dans la littérature, c’est que de nombreux scientifiques individuels sont plus que prêts, parfois déjà expérimentés, à relever le défi de la recherche transdisciplinaire. Certains d’entre eux peuvent utiliser d’autres termes comme science de la durabilité, science citoyenne, recherche participative ou similaire, mais ils tentent essentiellement de mettre en œuvre les principes de la recherche transdisciplinaire. Mais dès que cela est vérifié, il faut également noter la manière dont ils rendent compte des problèmes et des obstacles rencontrés en cours de route. 

De nombreux scientifiques transdisciplinaires se sentent limités par les frontières disciplinaires et les « silos » qu’elles entretiennent ainsi que les arrangements institutionnels. Les chercheurs sont formés dans une discipline, ils enseignent dans cette discipline et leur avancement professionnel se fait généralement au sein de cette discipline (Caplow 2017 ; Clark 1989 ; Stichweh 2003). Les universités et les instituts de recherche créent ou fournissent rarement des incitations pour s’engager activement auprès des parties prenantes non universitaires et d’autres sphères de connaissances. Les syndicats et académies scientifiques renforcent souvent cette tendance.  

À notre avis, les établissements d’enseignement supérieur et de recherche ont la responsabilité d’ouvrir la voie à un engagement plus positif en faveur des activités transdisciplinaires au sein de leurs frontières. Cela ne devrait pas se refléter uniquement dans des stratégies abstraites, mais devrait également se matérialiser dans des offres concrètes de formation, des échanges interdisciplinaires radicaux, des discussions dans de larges forums et un soutien sous forme de financement et d'opportunités de carrière.  

Évaluation et financement 

Cela nous amène au point suivant : des normes d’évaluation et des structures de financement inadéquates. Les scientifiques acquièrent un capital symbolique sous la forme de publications scientifiques évaluées par des pairs, de citations et de services au sein de comités universitaires de haut niveau. Les normes d’évaluation actuelles quantitatives (comme en bibliométrie) ou qualitatives (comme dans le jugement par les pairs) ne sont pas des outils d’évaluation suffisants pour la recherche transdisciplinaire.  

L’un des principaux défis réside dans l’évaluation de la recherche transdisciplinaire et de ses résultats. Les barrières sont claires : la qualité et la valeur de la recherche transdisciplinaire dépendent principalement du processus de formulation de la question, de la co-conception et de l’engagement des parties prenantes. Ces composantes définissent à la fois le processus de recherche et la forme des résultats ; ils déterminent si la recherche devient exploitable ou non.  

La recherche transdisciplinaire nécessite un système de financement différent et progressif. L'établissement de partenariats avec des groupes sociétaux et des individus concernés prend du temps (souvent des années), et il faut ensuite du temps pour convenir d'une définition commune du problème à résoudre et concevoir un protocole et une demande de financement. Cette première phase est intensive et difficile et a un coût réel. Il ne peut pas être évalué de manière adéquate par des publications. Nous avons suggéré que les étapes vers une co-conception inclusive avec l’ensemble des parties prenantes doivent d’abord être évaluées. La prochaine étape comprend des évaluations de la manière dont les partenaires de recherche produisent des connaissances nouvelles et pertinentes, en tenant dûment compte de la diversité des systèmes de connaissances potentiellement pertinents et de la diversité des valeurs. La dernière étape consiste à évaluer les résultats de la recherche. Qui est ciblé et atteint par la recherche, et quels systèmes de gouvernance sont promus pour améliorer le problème en question ? Quels sont les objectifs à court et à long terme qui peuvent être atteints grâce au projet ? Les contraintes éthiques, politiques, juridiques et administratives sont-elles dûment prises en compte ? Les conflits sociétaux fondés sur des valeurs sont-ils correctement traités ? Toutes ces considérations étendent les normes purement académiques couramment utilisées aujourd’hui. 

Systèmes de connaissances pour la recherche TD 

L’une de nos principales préoccupations dans ce document est d’allier le respect de tous les systèmes de connaissances et paysages de valeurs sans compromettre les principes qui guident la science. Nos commentateurs semblent s’accorder sur le fait que les systèmes de connaissances locales et autochtones sont souvent négligés par les scientifiques, mais ils sont également conscients des difficultés qu’il y a à combiner la science et d’autres formes de connaissances dans la pratique. La complexité des enjeux appelle la collaboration respectueuse de tous les partenaires. La vertu quelque peu démodée d’un dialogue scientifique ouvert pourrait ouvrir la porte à une telle collaboration entre le monde universitaire et la société civile. Mais à notre époque de forte spécialisation et de paysage de recherche compétitif, même les bases d’un bon dialogue peuvent s’avérer difficiles ! La formation scientifique et les intérêts professionnels constituent trop souvent des barrières. Nous sommes tous sujets à des préjugés fondés sur les valeurs et nous agissons tous en fonction de certains intérêts comme moteurs. Nous ne pouvons pas totalement éviter de tels préjugés, mais nous pouvons essayer de nous mettre à la place d’autres personnes ayant une perspective différente, et éventuellement modifier nos préjugés. S'engager dans une recherche transdisciplinaire, c'est faire de cet effort un point central et une base de travail collaboratif. 

Principes directeurs de la recherche TD 

En outre, la recherche transdisciplinaire est confrontée à des défis éthiques plus importants que ceux habituellement inclus dans les lignes directrices éthiques scientifiques. L’étape éthique importante consiste à passer du statut d’objets de recherche aux sujets humains à celui de partenaires égaux. Les formes simples de consentement éclairé ne suffisent tout simplement pas. D'autres questions sont sur la table : qui dirige le projet, qui est propriétaire de ses résultats, qui est propriétaire des données générées, qui a son mot à dire sur les canaux de communication avec le grand public, comment les bénéfices seront partagés et comment les conflits surgissant dans le cadre du projet seront résolus. le déroulement de la recherche soit-il résolu ? L’éthique de la recherche transdisciplinaire ne se sert pas de cases à cocher dans un questionnaire ; il doit s'agir d'un élément récurrent intégré au tissu du projet. Par exemple, la réciprocité, l’équité, la diversité ou l’apprentissage partagé devront peut-être être explicitement adoptés comme principes directeurs (Reed et al 2023 ; Horcea-Milcu et al 2019). 

Réforme pour l'avenir de la recherche TD 

Ce sont des questions fondamentales. Sans changements institutionnels à plusieurs niveaux, la promesse des approches transdisciplinaires restera en marge de l’entreprise de recherche. Nous avons d'abord demandé s'il y avait un avenir pour la recherche transdisciplinaire. Nous et les commentateurs avons identifié d’importants obstacles institutionnels et barrières idéologiques. Mais nous avons également indiqué qu’il existe des solutions possibles si nous faisons l’effort. Pourtant, il est essentiel d’accélérer la production et l’adoption de connaissances exploitables.  

Et c’est là que réside le point crucial : il n’y a pas de solution miracle ! Mais les systèmes scientifiques ont changé au fil du temps, et le moment est désormais venu de poursuivre leur évolution alors que nous sommes confrontés à de multiples défis à des échelles allant du local au mondial. Ces questions sont trop importantes pour que nous laissions cette arène de discours aux voix de l’irrationalité, de la post-vérité ou à une rhétorique bon marché. Nous craignons que les institutions scientifiques ne soient pas en mesure d’assumer pleinement ce rôle.  

Le système scientifique peut changer et s’adapter à nos besoins sociétaux et mondiaux actuels, même s’ils semblent d’une complexité et d’une « méchanceté » décourageantes. Notre argument est que ce changement vers une pratique transdisciplinaire plus large est nécessaire si nous voulons que nos connaissances soient utilisées pour le changement et les politiques. La science est une pratique trop importante pour qu’elle soit marginalisée par ses propres barrières. 

Bibliographie

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