« Au-delà de la tempête » : repenser la résilience climatique

Le Dr Temitope Egbebiyi est un météorologue spécialisé dans la modélisation d'impact. Originaire du Nigeria, il est basé à Cape Town, en Afrique du Sud. Dans une interview approfondie avec Geneviève Scanlan, du Conseil international des sciences, il souligne l'importance de mobiliser les individus à l'échelle mondiale, en mettant particulièrement l'accent sur les solutions aux défis rencontrés dans les pays du Sud.

« Au-delà de la tempête » : repenser la résilience climatique

Cet article fait partie de l’initiative en cours du Conseil scientifique international visant à présenter les perspectives de chercheurs en début et en milieu de carrière (EMCR) de divers coins du monde et de diverses disciplines des sciences du climat. La série a débuté lors de la Conférence scientifique ouverte du Programme mondial de recherche sur le climat (WCRP) et se poursuit jusqu'à la COP 28, dans le but d'amplifier les perspectives des jeunes sur l'action climatique.


Alors que nous réfléchissons à l’incertitude du climat de demain, des millions de personnes sont déjà aux prises avec son impact tangible aujourd’hui. Bien qu’ils soient longuement discutés au sein de l’espace multilatéral, les débats sur le changement climatique ont tendance à se concentrer sur les objectifs de température et les débats controversés autour de la réduction progressive ou de l’élimination des combustibles fossiles, négligeant souvent les problèmes qui doivent être résolus dès maintenant.

L’un de ces domaines critiques est l’agriculture : un pilier majeur de l’économie africaine, contribuant de manière significative au PIB du continent et employant une partie importante de sa population. Comme le souligne le Dr Egbebiyi, environ 35% du produit intérieur brut (PIB) du continent africain dépend de l'agriculture avec certains pays comme la Sierra Leone contribuent à hauteur de près de 60 %.  

De plus, selon la Banque mondiale, à partir de 2022, un Africain sur cinq souffre d’insécurité alimentaire. Le secteur agricole du continent étant fortement dépendant des précipitations, les effets croissants du changement climatique sur les températures et les précipitations constituent de graves menaces. Associé aux prévisions attendues selon lesquelles la population africaine devrait double par 2050Pour le Dr Egbebiyi, il est primordial de repenser la résilience climatique, en particulier dans des secteurs comme l’agriculture.

Cette prise de conscience a incité le Dr Egbebiyi à réorienter son intérêt vers la modélisation de l'impact climatique. Ayant récemment terminé son doctorat en modélisation climatique régionale et agrométéorologie à l'Université Université de Cape Town, il cherche à mieux comprendre les effets du changement climatique et à proposer des solutions alternatives pour l’agriculture.

Zoom avant : la nécessité de modèles haute résolution à l’échelle mondiale 

La recherche climatique a été formidable dans sa capacité à rassembler les scientifiques du monde entier pour travailler collectivement sur un problème mondial. Cependant, la recherche mondiale sur le climat présente encore d'importants angles morts ; les écarts les plus importants concernent les femmes et les pays du Sud. 

Si la recherche sur l’atténuation du climat est extrêmement importante, la recherche sur l’adaptation devient de plus en plus nécessaire à mesure que les régions du monde sont frappées par des événements climatiques extrêmes liés au changement climatique.

À l’heure où des difficultés économiques et de sécurité alimentaire se profilent, la recherche sur la manière dont le changement climatique affectera le secteur agricole en Afrique est essentielle aux stratégies d’adaptation. Le Dr Egbebiyi met en garde contre l’extrapolation de solutions d’un pays à un autre et recommande plutôt d’étudier les impacts et les effets à plus petite échelle. Ce qui fonctionne pour un pays d’Afrique ne fonctionnera pas dans un autre ; la recherche doit être menée à l’échelle locale et régionale.

Bien que des modèles climatiques soient disponibles à l'échelle mondiale, les pays du Sud souffre de données à faible résolution. Le niveau de résolution a un impact direct sur la clarté et la précision du modèle climatique. Plus la résolution est bonne, plus les informations sont localisées et plus la simulation et la gestion sont précises.

Le problème des données à basse résolution qui afflige les pays du Sud devient exacerbé lorsqu’on envisage des mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Il cite l'exemple du reboisement, qui peut avoir des résultats variables et même des conséquences inattendues en raison des différences régionales. Dans certains cas, cela peut avoir un effet négatif sur les précipitations dans certaines régions, malgré l'aide apportée aux autres.

Dans un article récent, le Dr Egbebiyi a étudié impact potentiel du changement climatique sur l’aptitude des terres cultivées en Afrique, examinant l'impact du changement climatique sur l'adéquation des cultures et les saisons de plantation dans différentes Parcours socio-économiques partagés (SSP). L'étude couvre trois types de cultures à travers l'Afrique, choisies pour leur importance économique dans la région : les céréales (maïs), les légumineuses (niébé) et les racines et tubercules (manioc). Il montre comment les cultures qui sont actuellement adaptées à l'environnement pourraient nécessiter des techniques de culture différentes ou pourraient être totalement inadaptées plus tard. 

Une vue d’ensemble : le rôle de la recherche dans la compréhension des conséquences imprévues

Lorsqu’on envisage des mesures d’atténuation du changement climatique qui pourraient entraîner des changements irréversibles à l’échelle mondiale, comme la modification solaire, les enjeux sont accrus et la compréhension des effets secondaires potentiels devient primordiale. Quelles sont les diverses implications pour les différents secteurs agricoles ? Quelles populations ont tout à gagner et lesquelles pourraient subir le plus gros des conséquences imprévues ? Comment les décideurs politiques peuvent-ils planifier à l’avance pour atténuer les inégalités résultant de ces changements ?

Au-delà des débats controversés autour des avantages et des risques associés aux technologies émergentes, le Dr Egbebiyi souligne l’importance de porter l’attention sur une recherche approfondie pour une compréhension nuancée des effets. Cela fait écho à l’appel à un moratoire sur l’intelligence artificielle (IA) lancé par certains experts et décideurs politiques.

En tant que chercheur en début de carrière, le Dr Egbebiyi voit des raisons de garder espoir : le changement climatique ne connaît pas de frontières, offrant ainsi l’occasion de catalyser la collaboration entre le Nord et le Sud. Cette collaboration peut favoriser les synergies et recourir à des approches descendantes et ascendantes. La diversité et la transdisciplinarité sont cruciales pour une compréhension globale du changement climatique. Cela nécessite l'inclusion des sciences sociales et l'intégration de diverses formes de connaissances, y compris celles des peuples locaux et autochtones, pour élaborer des solutions adaptées à chaque région. Cela nécessite également la participation des décideurs politiques pour faciliter l’adoption de politiques et de décisions fondées sur la science.

Alors que nous réévaluons Dans notre compréhension de la résilience, il devient évident que le chemin à parcourir ne consiste pas seulement à résister à la tempête, mais à redéfinir fondamentalement la manière dont nous générons des connaissances : servir les gens, fournir des informations accessibles et guider les décideurs politiques.


Témitope Samuel Egbebiyi

Chercheur postdoctoral au Groupe d'analyse du système climatique (CSAG), Département des sciences environnementales et géographiques, Université du Cap.

Le Dr Egbebiyi est un climatologue spécialisé dans la modélisation du climat régional, la modélisation des cultures et l'étude des extrêmes climatiques et de leurs impacts sur l'agriculture et la santé. Sa principale passion consiste à tirer parti de son expertise en recherche sur le climat pour apporter des informations précieuses qui peuvent influencer et informer les décideurs politiques dans leur prise de décision. Il vise à aider à la sélection de stratégies d'adaptation pour améliorer la sécurité alimentaire, en travaillant vers l'objectif de développement durable de Faim Zéro, en particulier en Afrique.


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Photo par Tige longue on Unsplash.

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